Odile Richard-Pauchet, Diderot dans les Lettres à Sophie Volland. Une esthétique épistolaire, Paris, Champion, « Les Dix-huitièmes Siècles, 115 », 2007, 449 p.

Odile Richard-Pauchet, Diderot dans les Lettres à Sophie Volland. Une esthétique épistolaire, Paris, Champion, « Les Dix-huitièmes Siècles, 115 », 2007, 449 p.

 

L’ouvrage d’Odile Richard-Pauchet est une des rares études en langue française consacrée exclusivement à la poétique épistolaire. Tiré d’une thèse soutenue en 1999, il se situe dans la lignée des travaux alors nombreux et novateurs sur l’épistolarité, dont le Diderot épistolier de Benoît Melançon, paru en 1996. Il ne faut pas se tromper sur le titre : il ne s’agit pas de biographie. C’est au plus profond de la pensée et de l’imaginaire diderotiens, à sa « source » même pour reprendre l’expression employée par Georges Benrekassa dans la préface, que mène cette lecture de la « folie épistolaire » des lettres à Sophie Volland. Pour qu’apparaisse ainsi toute la signification de cet ensemble disparate et lacunaire de lettres écrites sur plus de quinze ans, il faut un subtil cheminement, méthodiquement mené. La plus grande attention est d’abord portée au protocole épistolaire, au pacte qui lie les deux correspondants : exigence de régularité, mais aussi de longueur ou d’exhaustivité. Les conditions matérielles de l’échange, qui sont déterminantes pour l’établissement et le respect du contrat qui lie les correspondants, ont évidemment dans une telle étude toute leur place. La partie suivante est consacrée à la lettre comme objet fétiche, comme substitut du corps fantasmé. On y trouve en particulier des analyses éclairantes de la disposition des pages manuscrites, illustrées par des fac-similés. Les paradoxes de la représentation du moi dans le décousu des lettres sont étudiés dans la troisième partie : la cinquantaine de pages consacrées la présence du journal dans les lettres, comportant des tableaux synoptiques particulièrement utiles, constitue certainement un des développements majeurs de cet ouvrage. La dernière partie porte sur la représentation du corps : place donnée aux portraits et en particulier aux visages, à leur forme et à leur couleur ; insertion des corps dans un espace ou dans un paysage qui prend volontiers des allures d’utopie. Cette rapide présentation ne doit pas faire croire que ce travail de poétique épistolaire se réduit à la lettre. Les rapprochements avec le reste de la production de Diderot sont au contraire très nombreux et donnent aux analyses à la fois une profondeur et une dimension singulières. Ils montrent les liens étroits et complexes que les lettres à Sophie Volland entretiennent avec l’œuvre de Diderot, bien au-delà de leur rôle de « laboratoire ». Peut-on considérer les lettres à Sophie Volland elles-mêmes comme une œuvre à part entière ? Le titre du volume semble trancher, qui leur accorde italiques et majuscule. La question est soulevée à plusieurs reprises dans le volume et la conclusion, raisonnablement, y répond négativement. On l’a compris, le livre d’Odile Richard-Pauchet, en abordant les lettres à Sophie Volland dans une perspective nouvelle, celle de la poétique épistolaire, légitime et renforce la fascination qu’elles exercent sur leurs lecteurs. Beaucoup d’analyses sont entièrement neuves, toutes sont d’une grande justesse. L’auteur y montre un sens de la formule et une élégance de plume indéniables.

F. B.