Lire la Correspondance de Stendhal, Textes édités et présentés par Martine Reid et Elaine Williamson, Paris, Champion, coll. « Colloques, congrès et conférences, Epoque moderne et contemporaine » dirigée par Jean Bessière, 2007, 261 p.
Ce beau volume, qui reprend les travaux d’un colloque tenu à l’University of London Institute in Paris en décembre 2006, vient enrichir l’ample bibliothèque consacrée par les éditions Champion à la Correspondance de Stendhal. Impressionnant par le soin apporté à sa finition (bibliographie, magnifique dossier d’autographes, index), cet ensemble, par les variétés des approches dont il constitue l’objet, fait le miel d’un lecteur naïf ou chevronné. Conçu dans un esprit chronologique, il s’ouvre sur la correspondance de jeunesse de Beyle avec sa sœur Pauline, cet alter ego sans cesse désiré, et qui se déroba sans cesse. Les lettres du frère y forment bel et bien un texte d’éducation, à la fois sentencieux et anti-conformiste, s’adressant à Pauline comme à lui-même (Lucy Garnier, Béatrice Didier, Catherine Mariette). On découvre aussi cette Victorine Bigillion, jeune personne grenobloise à la santé mentale fragile, probablement amoureuse de l’étudiant Beyle, qui fut à l’origine de son intérêt pour la science psychiatrique naissante (Marie-Rose Corredor).
Martine Reid, décrivant les « affairements éditoriaux » dont la Correspondance du jeune littérateur fait bientôt l’objet, invite à dépasser les poncifs de la critique jugeant trop souvent la correspondance d’un écrivain comme un « laboratoire de l’œuvre », ou l’expression d’une « poétique ». Plutôt lieu d’un brassage complexe, et même d’un recyclage permanent d’idées, celle de Stendhal produit de la pensée à jet continu, reprenant, révisant des jugements antérieurs ou extérieurs, et manifestant plutôt l’étrangeté de cet homme face au statut même d’écrivain. Brigitte Diaz, quant à elle, se consacre à la qualité humaine du lectorat de cette correspondance, public d’élection auquel au fond Stendhal a destiné l’essentiel de son œuvre. En cela, ne se révèle-t-il pas le digne héritier du siècle précédent, recherchant l’écoute et la finesse d’un salon virtuel, la « connivence critique » plutôt que la célébrité industrielle – à laquelle le fonctionnement éditorial du temps était en mesure de le livrer ?
Des aspects thématiques sont ensuite proposés, comme cette curieuse et amusante étude de Philippe Berthier, recherchant (de façon peut-être utopique) la spécificité d’une écriture épistolaire virile, à travers ses centres d’intérêt (politique, anecdotes crues, amitié virile) comme à travers son style. Mais existe-t-il vraiment, en littérature, en dehors d’une conformation liée à l’éducation, ce fameux style « entre hommes » ? Plus pertinent, nous semble-t-il, sous l’angle du style, est cet éloge de la vitesse prononcé par Christof Weiand à l’adresse de ce passionné de daguerréotypie, de télégraphe et de vapeur que fut Stendhal : tous objets de délectation qui font de l’épistolier, même nostalgique des grâces du siècle passé, un véritable contemporain de Turner et un authentique poète de son temps (« Hâtons-nous de jouir »). L’amoureux de l’Italie, l’esthète en formation mais aussi bientôt le critique magistral, enfin les errements du diplomate sont vivement mis en lumière par les derniers textes (Daniela Gallo, Letizia Norci Cagiano, François Vanoosthuyse, Hélène de Jacquelot).
Elaine Williamson conclut, d’une façon qui ne contredit pas, loin s’en faut, les travaux du colloque de Rouen précédemment publié par notre revue (« Editer les Correspondances », une collaboration CEREDI/AIRE, Epistolaire n°33), sur l’utilité de poursuivre l’édition de la Correspondance de Stendhal selon une méthode électronique. Celle-ci seule se montrerait propre à mettre en valeur la spécificité générique d’une écriture souvent à mi-chemin entre le lettre et le brouillon romanesque, tantôt entrelardée de fragments de journal, tantôt marquée par le style administratif, comportant parfois des insertions graphiques (schémas, croquis) ou, sous différentes signatures, empruntant la voix d’autrui pour rendre les services épistolaires exigés de l’amitié.
O. R.-P.