17e Salon de la revue, Espace d’animation des Blancs-Manteaux
48 rue Vieille-du-Temple, Paris 4e, métro Saint-Paul
samedi et dimanche 20-21 Octobre 2007
Table ronde de l’AIRE, Salle Claude Esteban dimanche 21 octobre, 13h-14h « Sur l’épistolaire ordinaire et contemporain » Par la revue Épistolaire avec Sonia Anton qui en développera les problématiques, David Christoffel pour la « lecture d’une lettre d’amour », Odile Richard-Pauchet : « Réflexions impertinentes sur les adresses électroniques de naguère et d’aujourd’hui », Cléophée de Lamaze : « État des lieux sur l’évolution de la langue française et sur les pratiques de l’épistolaire aujourd’hui », etc.
Nous serons très heureux de vous accueillir dans ce double lieu, au stand de la revue Epistolaire du samedi 20 au dimanche 21 octobre (horaires sur le site ENT’REVUES.ORG), et le dimanche salle Claude Esteban pour cette tableronde à 13h. A très bientôt, et bien amicalement, Odile Richard Pauchet, Trésorière de l’AIRE |
Sur les pratiques épistolaires ordinaires contemporaines.
Sonia Anton, secrétaire adjointe
La table ronde que nous animerons au Salon de la revue sera consacrée à la question des pratiques épistolaires aujourd’hui. Nous nous limiterons pour le moment au domaine privé (par opposition aux courriers professionnels) pour centrer notre réflexion.
Nous partons d’un constat qui touche à la révolution qu’ont subie les pratiques épistolaires depuis une dizaine d’années avec l’explosion du courriel comme moyen d’information et de communication. Une première transformation avait eu lieu dans les années 1950 avec la généralisation du téléphone. Nous avons assez de recul pour pouvoir l’analyser. S’agissant de ce qui se joue avec Internet, nous sommes en revanche sur un terrain en friche, car nous avons peu de distance par rapport à ce phénomène, et très peu, voire pas de corpus autorisé ou officialisé. Ces courriers d’un nouveau genre progressent qui plus est extrêmement vite (la question est un peu différente pour les blogs, qui sont devenus un objet de réflexion pour les spécialistes du diarisme et commencent à faire l’objet d’un archivage à la Bnf).
Nous souhaiterions donc parcourir les questions qui se posent autour des nouvelles pratiques épistolaires et obtenir quelques pistes d’analyse.
Nous pouvons partir d’un certain nombre de constats :
Le mail concurrence de plus en plus la lettre lorsqu’il s’agit de livrer ou de solliciter des informations privées, d’échanger des nouvelles « familières ». Ces dernières années nous avons tous eu l’occasion de le voir remplir aussi des fonctions sociales traditionnellement réservées au courrier, avec la généralisation des mails de vœux de bonne année, d’invitation, de faire-part de naissance, voire de décès. Ces phénomènes perturbent nos habitudes et nos définitions touchant aux questions du privé, de l’intime et de la relation interpersonnelle. Le même texte mail peut être simultanément adressé à plusieurs personnes, ou circuler encore vers d’autres tiers en copie ; un même locuteur a également la possibilité de se créer plusieurs adresses qui hiérarchisent le degré de proximité avec l’interlocuteur. La notion de réseau épistolaire est extrêmement productive et fertile concernant le courrier électronique. On pense d’ailleurs à la facilité avec laquelle on donne son adresse mail par opposition à l’adresse postale. La multiplication des « romans par mails » témoigne sans doute de la diversité, de la nouveauté et de la transformation des modes de relation qu’autorise internet, ou dont il rend compte. Malgré tout bien sûr, des lettres continuent à être échangées. Dès lors, pourquoi, dans quelle situation écrit-on encore des lettres ? Reste-t-il des sphères exclusivement épistolaires ? Par exemple, écrit-on des mails d’amour ou des mails de rupture ? Il nous faut sans doute également tenir compte d’un facteur de générations. L’usage quotidien du mail privé reste peut-être réservé à des locuteurs relativement jeunes, même si ce n’est plus si certain aujourd’hui. On parle souvent du caractère immédiat et éphémère du courrier électronique, vite envoyé et aisément effacé. Pourtant, il y aussi des mails que l’on sauvegarde, enregistre ou imprime. Lesquels et pourquoi ? On est amené à s’interroger sur la question de l’épistolarité du message électronique. Je reprendrai les propos de Benoît Melançon : « Les épistologues, pour leur part, sont confrontés à des questions qui remettent en cause la nature même de leur objet d’étude, la lettre […]. Bref, ce qui emprunte l’inforoute, est-ce de l’épistolaire ? » (Sévigné@Internet, p. 11). Benoît Melançon rappelle dans son livre le caractère dématérialisé du mail, son instantanéité, son inscription particulière dans le temps et dans l’espace bien sûr. En même temps, il nous semble que les usages du mail sont très diversifiés, souvent complexes et que nous ne pouvons nous limiter à énumérer ce qui le distingue de la lettre. Nous avons affaire à un courrier d’un genre nouveau, qui est à l’intersection de plusieurs pratiques. Gildas Illien, qui dirige le projet de dépôt légal d’Internet à la Bnf, parle de la « difficulté à circonscrire l’objet, le genre, le périmètre des investigations, précisément parce que les manières et les raisons d’écrire sont à la fois dans la continuité des pratiques antérieures et à l’origine de leur renouvellement. » (Internet et moi, p. 63). D’un point de vue générique, où ranger également les textes qui s’échangent à travers les nombreux embranchements que compte l’espace Internet, tels les blogs, forums ou clubs de rencontre ?.
Dans cette nouvelle configuration de l’espace épistolaire surgissent naturellement toutes les questions qui portent sur l’écriture. Dans ses formes – son orthographe, son style, son protocole – le mail n’est pas (encore) codifié (même si de premiers guides ont paru) et l’on rencontre une multitude de modalités d’écriture. Les formules d’adresse et de congé (ce « Bonjour », par exemple par lequel on commence un mail, mais rarement une lettre) mériteraient à elles seules d’être étudiées. Écrit-on des brouillons de mails ? Si oui, témoignent-ils des hésitations et des difficultés que rencontre le locuteur qui choisit de s’exprimer via Internet ? Cécile Moulard use du néologisme « parlécrit ». Elle retranscrit et reproduit dans son livre des conversations échangées dans le cadre de chats (conversations simultanées), notamment avec la figure très officielle de Jacques Chirac, et l’on doit constater que les procédés d’écriture employés restent malgré tout assez classiques. Bouleversant le style proprement dit, mais aussi la relation à l’interlocuteur, c’est enfin le texto (« texte / oral »), avec sa galopante généralisation dans la jeune génération, qui commence à entrer en concurrence avec le téléphone et le mail, dont il est un peu à l’intersection, et qui complexifie encore la question.
Des spécialistes ont commencé à se pencher sur toutes ces questions et cette table ronde peut nous donner l’occasion de dresser un premier état des lieux de la recherche. On a parlé du livre de Benoît Melançon, qui interroge l’épistolarité du courrier électronique. Celui de Cécile Moulard, Mail connexion. La conversation planétaire, est extrêmement utile pour comprendre comment fonctionnent le cyberespace, son histoire, son lexique notamment. Il livre aussi des statistiques fournies notamment par la Sofres, qui donnent un aperçu des usages. On apprend par exemple qu’en janvier 2003, 59 % des internautes français disaient utiliser plus souvent l’e-mail que le courrier traditionnel, et 64 % d’entre eux écrire plus souvent depuis qu’ils utilisaient l’e-mail. Des linguistes travaillent sur les phénomènes d’écriture et d’interaction, Jacques Anis notamment dans un ouvrage collectif appelé Parlez-vous texto. Le numéro 45 de La Faute à Rousseau, titré « Internet et moi » était consacré en juin 2007 au diarisme en ligne. L’Apa a organisé en mars 2007 une table ronde autour de ces questions, et notre réflexion sur le mail chemine conjointement à celles que se posent les spécialistes du journal intime. Ce numéro de La Faute à Rousseau rassemble des réflexions de spécialistes, mais aussi beaucoup de témoignages d’utilisateurs de blogs. Je me demande si nous n’en sommes pas là nous aussi, à ce stade qui consiste à rassembler le maximum de témoignages sur la façon dont chacun écrit et reçoit des mails. Notre table ronde a donc aussi cette finalité.
Des chercheurs nous proposeront modestement (tant le sujet est vaste) quelques constats portant : sur les adresses mail (Odile Richard-Pauchet), la permanence bien sûr de la lettre papier (David Christoffel), les phénomènes de langue (Cléophée de Lamaze).
Quelques études :
« Internet et moi », La Faute à Rousseau/ revue de l’APA, n° 45, juin 2007.
MELANÇON, Benoît, Sévigné@internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre, Fides, 1996.
« La lettre au père Noël », Revue de L’Aire, n ° 32, 2006.
MOULARD, Cécile, Mail connexion. La conversation planétaire, Au Diable Vauvert, 2005.
OSWALD, Philippe, Double clic sur l’@mour. Courriels du cœur, Presses de la Renaissance, 2002.
Parlez-vous texto ? : guide des nouveaux langages
du réseau/ sous la direction de Jacques Anis, Le cherche midi, 2001.
RICHARD-PAUCHET Odile, « La carte de vœux électronique : aux limites du bon goût », Revue de L’Aire, n° 30, 2004.