Dernières Lettres, Textes réunis et présentés par Sylvie Crinquand, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, coll. « Kaléidoscopes », 2008, 249 p.
C’est l’une de nos membres les plus actives dans la dimension de l’interdisciplinarité, l’angliciste Sylvie Crinquand, qui propose ce volume rassemblant les actes du colloque « Dernières lettres » organisé par ses soins au printemps 2005 à l’Université de Dijon. Beau sujet, et particulièrement propice à mêler en effet les disciplines, à travers l’évocation de la lettre ultime, fictive et non-fictive, née, au sein des grandes cultures européennes, latine, française, anglaise, allemande, ou hispanique, sous la plume d’épistoliers savants ou ordinaires, tous paradigmes susceptibles de susciter poétiquement l’écriture de ce morceau de bravoure ou d’émotion, à la fin d’un recueil, d’un corpus, d’un échange, d’une vie. On navigue subtilement d’une problématique à l’autre avec d’autant plus de plaisir qu’à chaque fois, il est question de réexaminer des rhétoriques peu ou mal connues.
Le recueil a souhaité s’articuler autour du grand clivage de la fiction/non fiction, à l’intérieur duquel il laisse suffisamment de liberté aux uns, pour présenter les jeux subtils de l’écriture ovidienne, ménageant dans la dernière lettre d’un recueil les effets à la fois pathétiques et politiques du vers antique (Sylvie Laigneau, Elisabeth Gavoille, Déborah Roussel). Et aux autres, pour dévoiler les savants effets architecturaux de romans contemporains (semi) épistolaires, au sein desquels la dernière lettre peut jouer un rôle testimonial ou policier, entre folie et tragédie (Claude Imberty, Bénédicte Abraham, Odile Richard-Pauchet, Laurence Garino-Abel, Dorita Nouhaud, Emilie Walesak).
La non-fiction constitue peut-être un réservoir encore plus riche, capable à la fois d’évoquer les grandes mises en scène de rupture et d’adieu, de Rodin à Rilke, de Keats à Virginia Woolf, selon que l’on touche à la fin d’une amitié pesante, d’une liaison impossible, ou d’une vie insoutenable (Isabelle Mons, Jean-Luc Gerrer, Marie-Claire Mery, Oriane Monthéard, Bruno Curatolo). La dimension théâtrale de la lettre est alors peut-être à son comble, celle-ci transgressant un rôle immémorial, puisqu’elle ne vient pas « combler l’absence, mais l’instituer » (Sylvie Crinquand, Préface). Ce phénomène se montre curieusement sensible dans toutes les cultures, la dimension multi-linguistique étant richement représentée par le colloque (Sylvie Marchenoir, Serge Rolet, Nicolas Bonnet, Floriane Reviron), bien que les analyses purement poétiques ou stylistiques de la lettre y restent, en ce domaine, encore trop timides.
Plus impressionnantes encore, les « dernières lettres », non pas d’écrivains, mais d’épistoliers ordinaires, apportent leur touche « sacrée » à cet écrit ultime qu’on hésite presque à transgresser par la lecture et l’analyse : lettres des soldats de l’an II (Geneviève Haroche-Bouzinac), lettres de fusillés (Guy Krivopissko), ces corpus sont d’autant plus émouvants, dans l’incertitude ou la certitude de la mort, qu’ils ne prennent sens que du savoir historique de leurs découvreurs.
O. R.-P.